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APOSTASIE ADVENTISTE

L’Eglise adventiste francophone face  au gnosticisme

 

par Freddy  Koopmans

Genève – mai 2007
[email protected]

ð Table des matières

Introduction

C'est par l’Ecriture que les chrétiens ont appris que l’univers a eu un commencement [Gen. 1 : 1] et qu’il finira par se dissoudre [Matth. 24 : 35 ; 2 Pierre 3 : 10-11]. Cette information constitue pour eux un article de foi.

La science, qui ne voulait pas de ce schéma-là, a longtemps affirmé que l’univers est éternel. Ce faisant, elle se ralliait au postulat de la philosophie grecque sur le sujet.
Mais au cours du XXe siècle elle a dû progressivement déposer les armes devant la découverte de phénomènes mesurables qui ne s’expliquent que par l’hypothèse du Big Bang, le point d’origine du temps, de l’espace et de la matière.
Ce qui est moins connu des croyants, c’est un autre défi à leur foi, bien plus subtil et dangereux que l’athéisme prétendument scientifique. Il s’agit d’une pensée très ancienne, que l’Eglise des premiers siècles de l’ère chrétienne avait déjà eu à combattre.
Cette philosophie aux mille variantes a tenté à maintes reprises de parasiter la foi reçue de nos pères.
Elle proclame que les êtres humains sont issus du sein même de la divinité, et qu’ils sont des incarnations de Dieu ici-bas. La prédication de ce mensonge flatteur n’a hélas pas épargné l’Eglise adventiste francophone.              

I
La création ex nihilo

L'une des grandes professions de foi, commune à pratiquement tous les chrétiens, qu’ils soient catholiques, protestants ou adventistes, est bien celle qui proclame la création ex nihilo. En général, les adventistes évitent de recourir au latin, mais pour bien souligner qu’en l’occurrence leur foi ne diffère pas de celle des autres Eglises ils affirment officiellement :

 La parole a créé ex nihilo, sans dépendre d’une matière préexistante.[1]

Ex nihilo signifie à partir de rien, à partir du non-être, du vide absolu, du non-existant, du néant. On peut préférer une traduction de l’expression latine plutôt qu’une autre, mais le sens demeure le même.

 Karl Barth (1886-1968) a consacré de nombreuses pages au thème de la création. Voici, condensée en un paragraphe, l’expression de sa foi :   

[…] le monde est mais en tant que créature. Il lui est permis d’être à côté de Dieu, par Dieu. La réalité que Dieu lui confère repose sur une creatio ex nihilo, sur une création à partir du néant. Dieu fait surgir une réalité différente de lui là où il n’y a rien, aucune matière première. S’il y a un univers, si nous-mêmes nous existons par la seule opération de la grâce divine, nous ne pouvons pas oublier un seul instant qu’à l’origine de notre existence et de l’existence de l’univers, il y a non seulement une action mais une création de Dieu. Tout ce qui existe en dehors de Dieu reste constamment soustrait par lui au néant.[2]

 Saint Augustin (354-430) avait lui aussi longuement médité le sujet de la création. Voici sa conclusion concernant le matériau utilisé par Dieu pour créer l’univers : 

Vous avez créé le ciel et la terre sans les tirer de votre substance : autrement il y aurait eu quelque chose d’égal à votre Fils unique, et à vous par conséquent. […] Or, en dehors de vous, il n’y avait rien dont vous eussiez pu les former, ô Trinité une, Unité trine. Voilà pourquoi vous avez fait de rien le ciel et la terre (« de nihilo fecisti caelum et terram ») […] [3]         

Le judaïsme est en parfaite harmonie sur ce sujet avec le christianisme. Le rabbin de Dijon, I.-M. Choucroun, déclare, en utilisant l’expression latine : 

La Bible s’ouvre sur l’affirmation que Dieu, par Sa parole féconde, tira le monde du néant (ex nihilo).[4] 

Les adventistes tirent toutes les conséquences du texte de la Genèse qui affirme : « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière. » [3 : 19.] Pour eux, il n’y a aucun élément de nature divine en l’homme; celui-ci, issu du non-être comme le reste de la création, tombe en poussière à sa mort. Il n’y a pas de survie d’une entité prétendument immortelle. Dieu seul est immortel, et seule une initiative de l’unique Eternel, au dernier jour, la résurrection, ramènera les morts à la vie. C’est d’ailleurs la position d’éminents théologiens tels que Karl Barth, Oscar Culmann, Roland de Pury. 

Paul Ricoeur (1913-2005) a fait le bilan de la pensée qui, de Saint Augustin à Karl Barth, a cherché à comprendre le mal à partir du concept de création ex nihilo.  

[C’est la]  distance ontique entre le créateur et la créature qui permet de parler de la déficience du créé en tant que tel ; en vertu de cette déficience, il devient compréhensible que des créatures dotées de libre choix puissent « décliner » loin de Dieu et « incliner » vers ce qui a moins d’être, vers le néant.[5]

 C’est par l’attrait du néant que l’on peut définir tous les nihilismes auto-destructeurs [6] qui ont affecté et affectent encore la société : vandalisme de casseurs, attentats-suicides, alcoolisme, drogues, auto-flagellations, littérature et arts gangrenés par la destruction du sens et des formes, cultures de la dérision et de la déréliction, morbidités suicidaires, violences familiales, guerres civiles fratricides, cancers idéologiques du IIIe Reich et de l’URSS, maoïsme et génocide culturel de la Chine, Khmers rouges et génocide du tiers de leur propre peuple, auto-immolation collective des membres de l’OTS, massacres entre chrétiens autrefois, massacres entre musulmans aujourd’hui, etc. 

La Genèse  [ch. 3]  révèle la radicale toxicité du néant. L’époustouflante tentation s’évapore brutalement pour faire place au traumatisme insupportable de la nudité originaire, que le Dieu de la grâce couvre d’un vêtement acquis au prix du sang versé. Et pour rendre compte du serpent qui aura le temps d’inoculer son venin mortel au talon qui lui écrasera la tête, Paul Ricoeur ajoute :  

[…] le néant, c’est ce que le Christ a vaincu en s’anéantissant lui-même dans la Croix.[7]

II
Le Big Bang : parallèle scientifique de la création ex nihilo ?
 

Contrairement aux philosophies de l’Antiquité, la pensée judéo-chrétienne a affirmé depuis longtemps que le temps n’est pas éternel mais a commencé par un instant zéro. Par exemple, dans un livre consacré à la notion de temps, Saint Augustin, un millénaire et demi avant que ne soit formulée la théorie de la relativité, avait déjà conclu : 

Ce temps même, c’était vous qui l’aviez fait, et nul temps n’a pu courir avant que vous eussiez fait le temps […] avant le ciel et la terre il n’y avait pas de temps (« ante caelum et terram nullum erat tempus ») […] [8] 

Il n’est donc probablement pas surprenant que ce soit un croyant, Georges Lemaître (1894-1966), prêtre catholique et professeur d’astronomie à l’Université de Louvain, qui, à partir de la théorie de la relativité, ait développé l’hypothèse du Big Bang. Selon lui, cette explosion initiale s’est produite alors qu’il n’y avait ni temps, ni espace, ni matière préexistante, et fut l’événement à partir duquel allait se déployer l’univers tel que nous le connaissons et contemplons. 

Georges Lemaître traversa l’Atlantique pour rencontrer Albert Einstein. Celui-ci reçut poliment le professeur belge en soutane et se laissa même photographier à ses côtés. Il se montra d’abord sceptique, mais plus tard il finit par se rallier au concept, qui, en fait, cadrait parfaitement avec ses propres hypothèses.  

La plupart des données de l’observation (le décalage spectral causé par la fuite des galaxies; le rayonnement électromagnétique résiduel du cosmos à 2.7° Kelvin) vont dans le sens de la confirmation de l’apport de Georges Lemaître à la connaissance.  

Il y eut de farouches résistances. Jusqu’à sa mort en 2001, le célèbre astrophy-sicien Fred Hoyle tenta, contre les évidences, de prouver que l’univers est éternel, sans commencement ni fin. C’est lui qui, d’un ton méprisant, donna à l’explosion initiale le nom de Big Bang (en français : Gros Boum), pour se moquer du concept. Ce fut, hélas, sa seule contribution à cette formidable avancée de la science. La théorie, bien que généralement acceptée, a donc encore toujours ses détracteurs. 

Le prix Nobel de physique 2006 vient de récompenser John Mather et George Smoot pour leurs travaux qui ont renforcé le scénario du Big Bang. A l’aide d’un satellite mis à leur disposition, ils ont fait des recherches sur le bruit de fond cosmique, trace lointaine du premier instant de l’univers. 

III
La conception de la création dans la pensée de Georges Stéveny 

Georges Lemaître était natif de Charleroi. Or, à 28 kilomètres au nord de cette grande ville, un autre Wallon, également prénommé Georges, vit le jour en 1923; il allait radicalement prendre le contre-pied de son illustre compatriote.
Son père, Hyacinthe Stéveny, était devenu adventiste peu après la Première Guerre Mondiale. 

En 1946, Alfred Vaucher (1887-1993), professeur au Séminaire adventiste de Collonges-sous-Salève, tomba malade et dut partir en convalescence au soleil d’Espagne. Avant de s’en aller, il proposa que Georges Stéveny (1923-2004), le plus brillant de ses étudiants, le remplace dans certains de ses cours. C’est ainsi que débuta une remarquable carrière de professeur de Bible, de pasteur et d’écrivain.
Or, Georges Stéveny développa et enseigna une théologie qui écartait la notion de création ex nihilo. Voici ce qu’il déclare : 

La réalité ne peut être tirée du néant. Il y a une contradiction d’ordre métaphysique dans l’affirmation d’un néant absolu à côté d’un Dieu absolu. On n’est pas plus autorisé à affirmer le néant qu’à crier de l’intérieur à celui qui frappe à la porte : « Il n’y a personne ! » [9]

 A la place de la création ex nihilo, Georges Stéveny proposa une conception de la création de l’homme par gestation en Dieu lui-même. Ecoutons-le donc : 

L’apôtre Paul affirme que c’est de Dieu que sont toutes choses. (Romains 11 : 36.) Ex autou, hors de lui ! Et ailleurs : « Car en lui (Christ) ont été créées toutes les choses qui sont dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles. » (Colossiens 1 : 16.) Nous avons coutume de considérer le Christ comme l’agent de la création. Cette idée est exprimée par la préposition dia, par, grâce à. Mais une autre idée, plus complexe assurément, et sans doute aussi plus belle et plus profonde, me paraît contenue dans la préposition « en », dans. Une table est fabriquée par le menuisier, mais un enfant est conçu dans sa mère. Quelle différence ! Tout le mystère est là. L’enfant est distinct de sa mère, et pourtant formé en elle. La mère demeure intégralement elle-même, bien qu’ayant donné naissance à un autre être semblable à elle. Inexplicable mais quotidienne vérité. Seule image assez riche pour ne point trop défigurer la merveilleuse notion biblique de création. Toutes les autres restent en deçà de la vérité essentielle.[10]

 IV
Critique exégétique

Dans son Commentaire de l’Epître aux Colossiens, Norbert Hugedé (1932-2003) fait la remarque suivante à propos d’un des versets-clés utilisés par Georges Stéveny (Col. 1 : 16) : 

A la formule : « parce que tous les êtres ont été créés en lui », comme à celle qui la développe plus loin en 16c : « tout a été créé en fonction de lui et pour lui », nous avons trouvé très nettement une origine biblique. De même que c’est apparem-ment en fonction d’Adam, et pour lui, que le monde a été créé, c’est en fonction du Christ, second Adam, l’antitype, et pour lui, que la seconde création a été faite. Ce rapprochement avec le livre de la Genèse nous garde de voir au départ de ces expressions l’écho de préoccupations hellénistiques […] [11]  

 Ainsi, Norbert Hugedé avait choisi d’écouter la voix venant de Jérusalem plutôt que celle venant d’Alexandrie. Courageux acte de foi, que d’autres hésitent parfois à oser et à poser. 

Il arrive fréquemment, en effet, que les termes employés par le Nouveau Testament […] recouvrent […] ceux des religions hellénistiques de la même période. L’étudiant qui aborde pour la première fois les textes du Nouveau Testament est généralement choqué de constater que le Nouveau Testament n’a pas le monopole de certains termes qui sont pourtant fondamentaux.[12] 

Enrique Treiyer (°1950) ne craint pas de contredire certains exégètes qui se laissent séduire par les sirènes de la religiosité hellénistique : 

Contrairement à l’avis de certains commentateurs, la terminologie spatiale de Colossiens ne résulte pas d’une hellénisation de la théologie. Il est vrai que nous découvrons ici et là une assise commune à certains concepts de l’hellénisme, concepts bien présents dans le judaïsme hétérodoxe. Mais l’auteur de Colossiens ne s’engage pas dans ces voies.[13]

 En consultant les dictionnaires et lexiques grecs à la préposition “én”, on trouve, parmi d’autres, les sens suivants : en, dans, parmi, au milieu de, près de. Il faut se garder de fonder ou de rejeter une doctrine à partir de l’un de ces sens possibles. C’est l’ensemble du message biblique qui est déterminant. 

En tout cas, cette petite préposition “én” ne doit pas être prise dans un sens qui implique la fusion du divin et de l’humain chère à la mythologie grecque. Par exemple, l’expression «  Christ en vous » [Col. 1 : 27]  doit être comprise comme signifiant « Christ parmi vous », c’est-à-dire à l’oeuvre dans l’Eglise par son Esprit.[14] « Christ en moi » [Gal. 2 : 20] signifie ma soumission en tant que chrétien à la pensée de Christ, soumission qui n’est, hélas, jamais sans faille.  

Tous ces versets trouvent leur clé dans l’affirmation que voici : « Demeurez en moi [= en communion avec moi], et je demeurerai en vous [= parmi vous]. » [Jean 15 : 4.] Jésus précise sa pensée trois versets plus loin, en recourant au même hébraïsme : « Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voudrez, et cela vous sera accordé. » [v. 7.] Manifestement, « que nous demeurions en Jésus » et « que les paroles de Jésus demeurent en nous » sont deux manières complémentaires d’exprimer la même réalité. 

Revenons brièvement à Col. 1 : 16. « En lui ont été créées toutes choses. » Puisque “près de” est l’un des sens possibles de “én”, pourquoi ne pas traduire tout simplement : « Près de lui [c’est-à-dire sous sa garde, sous sa protection] ont été créées toutes choses. » Cette idée de seigneurie protectrice de Dieu, la providence, a l’avantage d’être attestée abondamment dans l’Ecriture, en particulier dans les Psaumes [Ps. 36 : 8; Ps. 37 : 39; Ps. 62 : 8; Ps. 63 : 8; etc.]. Elle confirme et amplifie l’inter-prétation de Norbert Hugedé. 

Quant à la métaphore de la femme enceinte - utilisée par Georges Stéveny pour rendre compte du développement de l’univers dans le sein même de Jésus - elle se trouve sous diverses formes dans les mythologies. Il en existe une survivance dans l’expression : « Il se croit sorti de la cuisse de Jupiter » (pour souligner l’extrême vanité de quelqu’un).

V
La participation de l’homme au divin 
: projet de thèse

Dans la biographie de leur père, les fils et la fille de Georges Stéveny font état de la mise en chantier d’une vaste recherche qui aurait dû aboutir au magnum opus de l’auteur.  

Il travaille en parallèle à une thèse de doctorat. En effet, l’université de Lausanne accepte son projet de thèse de doctorat en théologie sur « la participation de l’homme au divin » sous la direction de Pierre Bonnard, spécialiste du Nouveau Testament. Georges ne pourra malheureusement pas mener ce projet à terme, à son grand regret. Car en 1970, il est appelé à la direction du Séminaire, tâche qui ne lui laissera pas le loisir de poursuivre ses recherches dans les bibliothèques universitaires.[15] 

Georges Stéveny parlait volontiers de son projet, qui était donc de notoriété publique dès le début des années 60. Environ dix ans s’écoulèrent entre sa première entrevue avec le professeur Pierre Bonnard [16] et sa nomination à la présidence du Séminaire adventiste de Collonges-sous-Salève. L’argument par le brusque surcroît d’activités pour expliquer l’abandon du projet de thèse est donc peu crédible. 

De plus, Georges Stéveny était renommé pour son énorme capacité de travail. D’autres pasteurs et professeurs adventistes ont – sans être déchargés de leur mission – obtenu un doctorat. On pense, par exemple, à Pierre Lanarès, qui mena à bien ses recherches tout en assumant la responsabilité de la direction du séminaire. 

On ne peut s’empêcher de conclure que la cause de cet abandon de projet de thèse est autre. 

Dans les archives de Georges Stéveny – qui ont dû être précieusement conservées – il doit y avoir un dossier concernant ce projet de thèse. Georges Stéveny y a d’ailleurs ultérieurement puisé des pages qu’il a introduites dans ses livres. Par exemple, le fac-similé d’un manuscrit en langue grecque découvert en Egypte, et dont l’original se trouve à la Bibliothèque Bodmer de Genève.[17] 

Ce dossier doit également contenir l’échange épistolaire entre Georges Stéveny, pasteur à Bruxelles jusqu’en 1967, et son directeur de thèse à Lausanne.
On imagine sans peine la réaction étonnée du protestant Pierre Bonnard à la lecture de certaines pages que Georges Stéveny n’a pas manqué de lui soumettre. 

Et on voit mal Georges Stéveny accepter d’infléchir sa pensée dans le domaine de la participation de l’homme au divin

Ceci expliquerait son abandon du projet bien mieux qu’une surcharge de travail à partir de 1970.
Il serait évidemment fort intéressant de lire la lettre de Pierre Bonnard qui aurait pu amener Georges Stéveny à la décision d’écrire plus tard, sans contrainte, en toute liberté. Le double d’un tel courrier se trouve probablement dans les archives de la Faculté de théologie de l’Université de Lausanne. 

Il est étonnant que Georges Stéveny ait tenté de ressusciter une doctrine combattue victorieusement dans leurs écrits contre les hérésies de leur temps par plusieurs pères de l’Eglise des IIe et IIIe siècles, tels Tertullien, Irénée, Justin et Hippolyte.

VI
Georges Stéveny et Alfred Vaucher
 

Dans le long passage reproduit au chapitre III [p.  6-7], Georges Stéveny a repris des éléments d’un texte de huit pages qu’il avait introduit en 1987, sous son nom, dans la 4e édition de L’histoire du salut d’Alfred Vaucher. Il avait en effet accepté d’assurer la mise à jour de ce manuel pour le 100e anniversaire du professeur auquel il devait son premier poste d’enseignement.[18]

La 13e leçon porte comme titre : « La création de l’univers », suivi de la précision que voici : « Leçon rédigée par Georges Stéveny ». 

Alfred Vaucher avait d’abord offert à un professeur francophone d’une université adventiste des USA de se charger de ce travail, mais celui-ci s’était récusé, prétextant être débordé par les activités liées à son enseignement. A des amis collongeois,[19] cet Américain d’adoption confia que le manuel d’Alfred Vaucher, tout utile qu’il avait pu être comme support du cours de son auteur, était dépassé, car il se fondait sur la proof-text method [un unique verset, cité hors de son contexte, pour établir un point de doctrine], complétée par une ou deux courtes citations pour tenter de prouver que certains auteurs non adventistes pensaient comme nous. Ce n’est évidemment pas ainsi que l’on fait de la dogmatique sérieuse. 

Le but était certes louable. Alfred Vaucher fut l’un des rares adventistes de son temps à montrer à ses coreligionnaires que les fondements de leur foi étaient communs à tous les chrétiens. Y compris la création ex nihilo 

Dans l’extrait que voici, tiré de cette fameuse « leçon 13 », Georges Stéveny commence par une réflexion sur Héb. 11 : 3. 

Dire que ce n’est pas de « ce qui se manifeste aux sens » qu’est issu le « visible », n’est-ce pas insinuer que le réel visible est issu de l’invisible ? De l’invisible, mais pas du néant ! D’autres textes autorisent cette interprétation. « C’est de lui que sont toutes choses », « ex autou », « hors de Dieu » ! (Rom. 11 : 36) – « Car en lui (Christ) ont été créées toutes les choses qui sont dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles » (Col. 1 : 16). Nous avons coutume de considérer le Christ comme l’exécuteur du plan de Dieu, à la création. Cette idée est exprimée par la préposition « par ». Mais une autre idée, plus profonde, me paraît contenue dans la préposition « en ». Un enfant est engendré par ses parents, mais en sa mère. Tout le mystère est là. L’enfant est distinct de sa mère, bien qu’ayant donné naissance à un autre être, semblable à elle. Inexplicable, mais quotidienne vérité. Seule image assez riche pour ne point trop défigurer la notion biblique de création. Toutes les autres restent en deça de la vérité. Or, nous sommes rigoureusement fidèles aux textes : « Dieu créa l’homme à son image » (Gen. 1 : 27) – « Adam fils de Dieu » (Luc 3 : 38). Cf. Gen. 2 : 7 et Jér. 1 : 5, où le même verbe « former » est employé dans l’original. […]

De ce point de vue, le prologue de l’évangile selon Jean est des plus intéressants. En voici une traduction littérale : « Toutes choses existent par son intermédiaire, et sans lui rien n’existe ; ce qui existe était vie en lui, et la vie était la lumière des hommes. » (Jean 1 : 3, 4.) Plusieurs traductions récentes (Jérusalem, Maredsous) adoptent cette lecture. Elle a le mérite de mettre en valeur un aspect inattendu de l’intervention du Christ dans la création. Les hommes sont unis au Christ par un lien ontologique. La vie ne peut venir que de la vie. L’être ne peut provenir que de l’Etre. Croire que Dieu a tiré la vie du néant, c’est faire du néant un autre Dieu et retrouver le dualisme. En fait, la vie vient de Dieu, par Christ, en Christ et pour Christ. Médiation, déjà ! [20] 

Dans l’avant-dernière édition de son livre, datée de 1951, donc à une époque où, en pleine possession de ses moyens, il n’avait pas éprouvé le besoin de se faire aider - voire remplacer - Alfred Vaucher avait nommément affirmé la création ex nihilo,[21] et, pour bien se faire comprendre de ses étudiants adventistes ignorant le latin, avait même traduit : 

[…] la Bible conçoit Dieu comme créant l’univers de rien.[22]  

Il n’y a aucune raison de supposer qu’en atteignant sa centième année Alfred Vaucher avait perdu la foi dans la création ex nihilo, qu’il avait enseignée avec force et conviction pendant toute sa carrière.  

Rendons donc hommage à l’honnêteté intellectuelle de Georges Stéveny, qui n’a pas tenté de présenter son avis personnel concernant la création comme étant celui d’Alfred Vaucher, mais l’a fait figurer sous son propre nom.

VII
Risque de panthéisme ?
 

Georges Stéveny affirme donc que la vie des hommes vient de l’Etre de Dieu. Il raisonne à partir de l’affirmation que voici, qui ne se trouve d’ailleurs pas dans la Bible.

                            La vie ne peut venir que de la vie.[23] 

Pour le croyant, ceci pourrait à la rigueur signifier qu’une intelligence supérieure a tiré les êtres vivants du non-être. Mais le principe trouve sa limite dans la constatation que la vie de Dieu ne vient pas d’une autre vie. Pour sa part, le savant athée, qui conçoit que les formes de vie d’aujourd’hui dérivent de formes de vie antérieures, attestées par les fossiles, applique rigoureusement le même principe philosophique. Mais il bute sur la question de la première cellule vivante, qu’il prétend être issue spontanément de la matière inerte. Aussi bien le croyant que le savant athée sont ainsi obligés de déroger au principe, qui n’est donc qu’un axiome inopérant, inutile et incertain. 

Très curieusement, Georges Stéveny se défend par anticipation d’avoir enseigné une forme de panthéisme. Il a ainsi recours à une redoutable figure de polémique, la prolepse. Georges Stéveny ayant repoussé l’accusation avant même que quelqu’un ne la formule, qui oserait y revenir ?  

J’entends déjà protester au nom du panthéisme que la Bible tout entière révoque. Ne nous pressons pas. Le rapport dont je parle est différent et dûment affirmé par les déclarations les plus solennelles de l’Evangile. Quand Paul écrit : « Ce n’est plus moi qui vis, mais c’est le Christ qui vit en moi » (Galates 2 : 20), est-ce du panthéisme ? Ou quand il écrit aux Ephésiens que nous devons être « remplis jusqu’à toute la plénitude de Dieu » (3 : 19), est-ce du panthéisme ? Certes non. C’est l’adorable « mystère dans lequel sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science ». (Colossiens 2 : 3.) [24]  

Plaçons Gal. 2 : 20 dans son contexte :  « Ce n'est plus moi qui vis, mais c'est le Christ qui vit en moi, et si je vis maintenant dans la chair, je vis dans la foi au Fils de Dieu ». Ou encore, quand Paul écrit aux Ephésiens que nous devons être « remplis jusqu’à toute la plénitude de Dieu » (Eph. 3 : 19), pourquoi ne pas citer également le verset 17 : « que le Christ habite dans vos cœurs par la foi » ? Et enfin, rétablissons la troisième citation dans son intégralité : C’est l’adorable « mystère dans lequel sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science » (Col. 2 : 3). Le verset précédent avait précisé : « mystère de Dieu, qui est le Christ» CONCLUSION : la réalité de la plénitude de Dieu est en Christ, et nous sommes conviés à avoir foi en cette réalité-là.   

En fait, la pensée de Georges Stéveny n’a généralement pas les caractéristiques du panthéisme, mais plutôt celles du gnosticisme. En effet, il affirme et répète que, de par son origine en la personne du Christ, seul l’être humain possède un élément divin quelque part en sa personne - et non pas l’ensemble de la création comme chez les panthéistes. 

La noblesse de l’homme est d’avoir été créé participant de la nature divine.[25]  

En fait Dieu a créé un créateur. Tel est le sens caché du récit de la Genèse (1.26) : « Dieu dit : faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. » […] L’image est plus qu’une simple représentation du modèle. Elle contient comme une projection de son essence. Elle est comme le fils par rapport à son père. « Adam, fils de Dieu. » (Luc 3.38.) Elle en porte la puissance.[26]  

Et pourtant, dans la citation qui vient, Georges Stéveny flirte manifestement avec ce qu’il désapprouve :  

Le Christ de Dieu se donne dans la création. Il est la vie de tout ce qui vit, l’être de tous les êtres. Il est la substance cachée des choses, si différente des apparences, profondément présente au cœur de tout ce qui vit […] [27]  

Dès que l’on affirme que non seulement l’homme mais encore tous les êtres vivants - donc les animaux et les plantes - ainsi que les choses inertes contiennent une « substance cachée » qui est le Christ lui-même on est dans la logique du panthéisme.

Ceci illustre que l’on tombe facilement du gnosticisme dans le piège du panthéisme. Les deux doctrines sont sœurs jumelles.  

VIII
Le péché et la chute dans la pensée de Georges Stéveny
 

Pourtant, cette « substance cachée » mise en l’homme par Dieu a été gravement affectée par la chute et le péché. Ceci pose le problème de savoir comment la substance divine, en principe éternelle, inaltérable et « sans ombre de variation » [Jacq. 1 : 17], ait pu subir une telle détérioration. Cette perte d’être, Georges Stéveny l’appellera dans un autre texte « la fragilité de Dieu ».[28] Mais commençons par la fragilité de  l’homme : 

Le péché qui a produit la chute originelle ne peut pas être compris uniquement sur le plan moral. Oserai-je dire qu’il est ontologique ? Je suggère de comprendre qu’il modifie la nature même de l’être humain. Comment cela ?  Question difficile ! Disons-le très simplement. Sorti des mains du créateur, l’homme, avant la chute, n’était pas réellement séparé de Dieu. Un lien invisible, mais authentique et vital, le reliait au Seigneur. L’esprit humain restait naturellement en contact avec l’Esprit divin. Comme un fœtus est relié à sa mère par le cordon ombilical ! Ou, si l’on préfère, comme un trolleybus est en relation avec la source d’électricité, grâce à son trolley. On sait  ce qu’il advient quand le contact est rompu. Or, à la chute, une rupture de ce genre s’est produite. Expulsés du jardin, Adam et Eve ont cessé d’entretenir avec Dieu une communion spontanée. Leur nature intime a été affectée par le péché. Et le privilège dont ils jouissaient en vertu de leur innocence ne pouvait plus être transmis à leur descendance. Désormais, la vie transmise est hypothéquée : elle s’écoule vers la mort. Tout nouveau-né est un condamné à mort en sursis. L’homme accède à l’existence, séparé de Dieu, sans lequel il ne peut vivre. Pour rétablir la communion, il doit passer par la conversion. Conversion qui implique une nouvelle naissance. Le péché affecte sa nature : c’est une maladie mortelle. La conversion rétablit sa nature initiale : c’est la guérison éternelle.[29]  

Ni la comparaison avec le cordon ombilical ni celle avec le trolley d’un trolleybus n’ont leurs équivalents dans la Bible, qui pourtant offre de nombreuses métaphores et paraboles pour faire comprendre la situation désespérée du pécheur.

La brebis égarée, toute fourvoyée qu’elle est, n’a pas changé de nature ; elle est toujours autant brebis que ses quatre-vingt-dix-neuf soeurs fidèlement restées dans la bergerie ; elle ne s’est pas métamorphosée en une nouvelle espèce d’animal. Le métal de la drachme perdue est toujours le même que celui des neuf pièces que la ménagère a précieusement rangées, et elle n’a rien perdu de sa valeur nominale : elle vaut toujours une drachme. Le fils prodigue, égaré au milieu des pourceaux, est demeuré un être humain à part entière ; il n’est pas devenu une sorte de monstre mi-homme, mi-cochon. Et Karl Barth de conclure : 

  […] même en étant […] un esclave notoire du péché, l’homme ne cesse pas pour autant d’être une bonne créature de Dieu.[30] 

Ceci constitue un des arguments majeurs contre la torture et la peine de mort. Le pire des criminels doit encore être respecté comme une bonne créature de Dieu.

IX
Le croyant est-il incarnation de Dieu ?
 

Georges Stéveny esquisse le processus de réhabilitation de l’homme en ces termes :

En nous unissant au Christ par la foi-adhérence, nous retrouvons aussi, d’une manière surnaturelle, le lien avec Dieu. Le cordon ombilical est reconstitué.[31]  

D’un livre à l’autre, on retrouve donc cette métaphore obsédante du cordon ombilical. Comme l’apôtre Paul affirme que nous sommes enfants de Dieu par adoption [Rom. 8 : 15 ;  Eph. 1 : 5 ; Gal. 4 : 5 ; etc.], et non par engendrement, la notion de cordon ombilical est inadaptée au propos. Mais poursuivons notre lecture.   

Quand l’humanité est libérée de toute contrainte et de toute limite, elle s’ouvre pleinement à la divinité.[32]  

En devenant pleinement homme, pleinement enfant de Dieu dans la liberté reconquise, on acquiert pleinement la participation à la nature divine.[33]  

Mais il nous revient la possibilité de tendre avec enthousiasme vers cette ultime réalisation. L’homme est appelé à devenir incarnation de Dieu.[34] 

Oui, chère lectrice, cher lecteur, vous avez bien lu : « incarnation de Dieu ». 

Nous invitons le lecteur à être particulièrement attentif à la déclaration qui suit. 

En créant, Dieu pousse les êtres au long d’une courbe immense dont le déploiement circulaire peut tout ramener à lui. Un jour, bientôt, à la parousie du Seigneur, lorsque toutes choses auront été soumises à Dieu, Dieu sera tout en tous      (1 Corinthiens 15 : 28). Ce sera la consommation de tous les êtres en Dieu. Alors, la fragilité de Dieu disparaîtra.[35]  

Cette vaste « courbe » sur laquelle Dieu « pousse » (sic) les êtres humains issus de lui, pour finalement les « ramener » au point de départ et les recueillir en lui-même, est caractéristique de la pensée gnostique telle que l’hérésiarque Valentin ( v. 160) l’enseignait déjà dans les églises d’Alexandrie et de Rome. Ce voyage d’ampleur cosmique est magistralement résumé par le professeur Hans Lietzmann (1875-1942), spécialiste de l’histoire de l’Eglise et de la gnose. 

Le drame qui, selon Valentin, se joue dans le pleroma nous révèle très clairement le sens de la Divine Comédie de la rédemption. C’est le déploiement par lequel la divinité prend conscience d’elle-même. Toute génération résulte [nécessai-rement] de la nature divine elle-même et mène de l’unité à la multiplicité, à la différentiation et à la diversité sans cesse croissantes, [donc] à la dégradation continuelle de la déité. Mais, [tout aussi nécessairement], le divin qui a trouvé dans l’homme une de ses formes retourne à sa source première, atténue graduellement les différences et se dissout finalement dans le grand Tout, dans la plénitude de la divinité qui n’est plus ni individuelle ni personnelle, mais qui est au-dessus de toute forme et de toute détermination.[36]  

Par quel raisonnement Georges Stéveny en est-il venu à affirmer la « fragilité de Dieu », comme Valentin et d’autres gnostiques ? C’est tout simple : à force d’utiliser sa substance pour l’injecter dans les êtres qu’il crée, Dieu a fini par entamer son capital vital au point de se trouver bien affaibli. Les gnostiques nous invitent à le prendre en pitié et à nous précipiter à son secours. Ce n’est pas Dieu qui sauve les hommes, mais au contraire les hommes qui doivent assurer le salut de Dieu en unissant la somme de leurs parcelles divines à son être égrotant. Alors, comme le dit Georges Stéveny, « la fragilité de Dieu disparaîtra». Car… 

L’homme a un immense pouvoir sur Dieu. En cela réside le caractère sacré de sa destinée. Il engage le destin de Dieu.[37]

Le mot « Dieu » pourrait n’être qu’un mot vide. Ce qui lui donne un sens, c’est la clarté de notre vision, le contenu de notre adoration, la qualité de notre obéissance, le sérieux de notre réflexion.[38] 

On finit par se demander qui crée qui. 

Est-il dès lors étonnant que notre auteur ait combattu la doctrine de la substitution ? [39] Dans la perspective gnostique celle-ci n’a aucun sens. Comment un Dieu épuisé par son œuvre créatrice pourrait-il se substituer à des hommes collectivement bien plus puissants que lui ?  

Des êtres qui sont certains de posséder un élément divin en eux-mêmes pourraient-ils accepter qu’un autre être divin – fragile de surcroît - se substitue à eux pour leur assurer le salut ?  

Mais alors, dans cette perspective, quel est le rôle de Jésus ? et l’utilité de son sacrifice à la croix ? 

Selon W. A. Visser ‘t Hooft, le tout premier secrétaire général du Conseil Œcuménique des Eglises, Jésus est réduit, dans la pensée gnostique, à la fonction d’

agent libérateur de l’étincelle divine qui est en l’homme.[40]  

Pour le gnostique, Jésus ne jouerait donc qu’un rôle d’allumeur de réverbères. 

Dès lors, comment faut-il comprendre que Dieu, malgré son extrême dégradation, soit paradoxalement appelé le Tout-Puissant dans l’Ecriture ? Georges Stéveny a vu le problème et l’a résolu de la manière suivante :   

Tout est possible à Dieu en ce sens qu’on ne sait jamais jusqu’où peut aller l’action de l’Esprit quand elle trouve un organe approprié. C’est encore plus vrai, évidemment, dans l’Apocalypse. Le Pantocratôr [Tout-Puissant en grec] peut promettre, car il possède la vertu de réaliser ses promesses avec « le reste » qui l’accueille. L’actualisation de la toute-puissance est projetée dans l’avenir.[41] 

« Organe approprié » est de toute évidence synonyme de « cordon ombilical ». Le Saint-Esprit ne peut donc intervenir, d’après Georges Stéveny, qu’en passant par des êtres humains reliés ontologiquement à Dieu. La souveraine liberté d’action de Dieu ne serait en fait que chimère.  

Le « reste qui l’accueille » est une collectivité ecclésiale eschatologique de saints dont Dieu attend patiemment la constitution pour enfin pouvoir accomplir son œuvre dans l’histoire. L’Eglise ne dépendrait pas de la toute-puissance de Dieu, mais Dieu serait soumis au souverain bon vouloir de l’Eglise. Dieu est apparemment loin d’avoir atteint la toute-puissance ; celle-ci « est projetée » dans un avenir hypothétique, lorsque Dieu sera uni à ses créatures par « un organe approprié ».  

Et voici, selon Georges Stéveny, comment fonctionne un chrétien qui a fusionné avec Dieu :  

Pour imiter un grand artiste, il faut posséder son génie. De même, pour ressembler au Christ, il faut être habité par lui. Ce n’est pas sans raison que l’on a insisté sur une mystique de l’être-en-Christ et de l’union avec Christ. Tel est le secret ! [42]  

Car il est impossible de distinguer entre le Christ et notre conscience. La voix mystérieuse qui se fait entendre dans notre  for intérieur se confond avec la voix du Christ. « La conscience […] est le témoin de Dieu dans l’homme, le juge divin et sans  appel, le ministre résidant, l’œil et la lumière du corps (Luc 11 : 34-36), la boussole du navire. » La voix du Christ en nous ! [43]  

Le mysticisme et le gnosticisme font évidemment bon ménage. Le « cordon ombilical », cet « organe approprié », permettrait donc une radicale identité de la pensée de l’homme et de la pensée de Dieu !  

Mais évitons de trop en dire à propos de cette ahurissante revendication. Il n’est cependant pas difficile d’entrevoir qu’elle risque de se révéler redoutable pour l’entourage. Surtout pour ceux qui oseraient exprimer des points de vue différents de celui qui se croit le dépositaire des idées de Jésus-Christ.

X
Un cuisant aveu en guise de conclusion

Nous devrions nous souvenir de la mise en garde des réformateurs, pour qui l’on ne peut entendre la voix de Dieu que dans le témoignage de l’Ecriture [principe de Sola Scriptura], et surtout pas dans les caprices de nos consciences limitées. Leur devise était : A la fois justes et pécheurs ! Nous sommes en effet justes parce que graciés par Dieu, mais ceci ne nous empêche pas de confesser que nous sommes des pécheurs, hélas capables de nous tromper et de faire le mal.

Dans l’ultime ouvrage publié de son vivant, dans un moment de grande lucidité, Georges Stéveny, après avoir brièvement réaffirmé son perfectionnisme, doit reconnaître que celui-ci n’a abouti à rien. 

Le privilège du chrétien […] consiste dans une transformation qui permet au caractère du Christ de se manifester dans notre comportement au sein de la société. 

Un cuisant aveu nous oblige à convenir que cela ne se reconnaît pas dans les faits. […] Dans la situation inextricable où se trouve le monde, les chrétiens seraient bien avisés de se demander s’ils contribuent à la maladie du monde ou à sa guérison.[44]                                             

Cuisant aveu, en effet, venant après un tel rêve !  

Nous supposons que Georges Stéveny s’estimait et se jugeait tout aussi coupable que les autres chrétiens de la situation qu’il évoque.  

Car toute notre justice - et non pas notre injustice - est comme un vêtement souillé.[45] 

Souhaitons que la récente admission de l’Eglise adventiste au sein de la Fédéra-tion protestante de France ait pour effet l’adoption sincère, au fond de nos cœurs, de ces quelques mots : A la fois justes et pécheurs ! C’est la seule conception de l’homme qui soit compatible avec la doctrine de la création ex nihilo.  

POSTFACE  

Le présent texte est une refonte d’une première édition. Elle fut envoyée, sous un autre titre, à une cinquantaine de destinataires de neuf pays différents. La moitié d’entre eux nous ont fait parvenir leurs commentaires, leurs suggestions, leurs critiques.

Qu’ils soient ici chaleureusement remerciés ! Il a été tenu compte de la plupart de ces apports, au demeurant fort avisés. Un correspondant a proposé un changement de titre, pour des raisons fort convaincantes. Un autre nous a suggéré d’ajouter, par souci de clarté, une brève introduction permettant de bien situer le propos. D’autres ont fourni des renseignements dont la teneur était confidentielle jusqu’ici.

Certains ont demandé s’il y a des groupements religieux qui enseignent, comme Georges Stéveny, que l’être humain est issu de l’Etre de Dieu, et non pas du néant. Oui, bien sûr, et c’est l’une des raisons qui leur interdit l’admission dans la Fédération protestante de France, et même dans le Conseil Œcuménique des Eglises. Il s’agit notamment des Mormons. Notre entrée dans la Fédération protestante de France est donc implicitement subordonnée à notre rejet de toute théologie gnostique.

Un pasteur retraité nous a demandé pourquoi nous ne laissions pas Georges Stéveny respectueusement en paix dans le silence de la tombe. Le problème, c’est que sa théologie est non seulement prônée du haut de certaines chaires, mais, de plus, exerce une censure de fait sur la doctrine de la substitution, qui n’ose plus s’exprimer en français qu’avec une pudeur extrême. Et que dire du fait que Georges Stéveny est publié et diffusé par Vie & Santé, la maison d’édition adventiste officielle de langue française ? La publication posthume d’un livre inachevé est d’ailleurs envisagée.

Quelques lecteurs, troublés par ce que nous venions de leur révéler, nous ont demandé si nous avions vraiment la certitude que Georges Stéveny avait maintenu jusqu’au bout son rejet de la création ex nihilo et son affirmation que l’homme a été créé au sein même du Logos de Dieu. Nous serions des plus heureux d’apprendre que Georges Stéveny ait regretté cette double erreur, souvent répétée, et l’ait corrigée. Si un manuscrit, une lettre par exemple, révélait une telle volte-face sans la moindre ambiguïté, il faudrait le publier au plus vite pour contrer l’influence des écrits existants.

On nous a demandé si l’allégorie champêtre du cep et des sarments [Jean 15 : 1-8]  ne confirmerait pas la réalité du cordon ombilical censé nous relier ontologiquement à Jésus. Cette péricope fait partie des instructions que Jésus a données à ses disciples pendant le repas pascal, quelques heures avant son arrestation. Georges Stéveny occulte ce texte, et pour cause : la sève qui va du cep aux sarments représente, selon Jean 15 : 7, les paroles de Jésus, dont les onze disciples furent conviés à se nourrir pour porter des fruits.[46] Se couper de la source de la foi, aurait signifié pour eux la mort spirituelle. Référence à peine voilée à Judas, qui venait de quitter la salle pour aller livrer le Seigneur. 

            Ce qui est visé, c’est le risque de ne pas persévérer dans la foi […] [47] 

Quels sont ces fruits que les apôtres furent invités à produire en se nourrissant des paroles de Jésus ? On pense bien sûr à la prédication de l’Evangile, à la fondation des premières Eglises, et enfin à la rédaction du Nouveau Testament, qui nous permet, à notre tour, de nous nourrir de l’enseignement de Jésus. Jean 15 : 1-8 ne concerne donc en aucune manière la prétendue création de l’homme dans le sein de Jésus, ni l’hypothétique suture du « cordon ombilical » tranché par la chute et le péché. Georges Stéveny utilise parfois les mots cep et sarments, de manière allusive, hors contexte, sans donner la référence de Jean 15.[48]

Un admirateur de Georges Stéveny nous a reproché de nous draper orgueilleusement dans la houppelande de l’orthodoxie. Il nous a demandé si nous avions vraiment la prétention d’avoir compris la doctrine de la création ex nihilo dont nous parlions. Evidemment, nous lui répondons que NON ! Qu’il soit donc rassuré : c’est par la foi que nous accueillons le témoignage de l’Ecriture, que ce soit à propos de la trinité, de l’incarnation, de la substitution, de la résurrection, ou encore, bien sûr, de la création ex nihilo.

Si des conceptions hétérodoxes obtiennent droit de cité dans notre Eglise – générosité chrétienne que nous ne contesterons pas - on ne nous contestera pas non plus le droit de défendre contre elles, par la plume, les enseignements fondamentaux de l’Eglise chrétienne. Même s’ils sont désespérément orthodoxes.

Trois responsables de l’Eglise se sont esquivés avec un sympathique sourire fraternel en nous disant chacun à tour de rôle : « Oh, vous savez, moi, je n’y connais rien en théologie ! » 

Mais le problème de la théologie, à savoir la pureté du service à l’Eglise, c’est à l’Eglise dans son ensemble qu’il est posé. Dans l’Eglise, il n’y a pas, en principe, de non-théologien. Le concept de « laïque » est à coup sûr l’un des plus mauvais qu’évoque la langue religieuse, un concept qui devrait tout simplement être rayé du vocabulaire chrétien. Disons donc que ceux qui ne sont ni professeurs ni pasteurs [doivent veiller à ce] que la théologie de leurs pasteurs et de leurs professeurs soit une bonne théologie.[49]

 

BIBLIOGRAPHIE 

AUGUSTIN, Confessions, texte latin et traduction de Pierre de Labriolles, 2e vol., Les Belles Lettres 1961. 

BARTH Karl, Dogmatique, 4e vol., 1er tome **, trad. de l’allemand, Labor et Fides, 1966.  

Esquisse d’une dogmatique, trad. de l’allemand, Delachaux & Niestlé 1950. 

Révélation Eglise Théologie, trad. de l’allemand, Labor et Fides 1964. 

CHOUCROUN I.-M., Le Judaïsme, doctrines et préceptes, PUF 1951. 

ELLUL Jacques, La foi au prix du doute, Hachette 1980. 

HUGEDE Norbert, Commentaire de l’Epître aux Colossiens, Labor et Fides 1968. 

LEON-DUFOUR Xavier, Lecture de l’Evangile selon Jean, 3e tome, Le Seuil 1993. 

LIETZMANN Hans, Histoire de l’Eglise ancienne, trad. de l’allemand, 1er vol., Payot 1936. 

RICOEUR Paul, Le mal, Labor et Fides 1996. 

STEVENY Georges,
A la découverte du Christ
, Vie & Santé 1991.
Le mystère de la croix
, Vie & Santé 1999.
Jésus, l’envoyé de Dieu : Pourquoi est-il venu ?
, Vie & Santé 2001.
« La fragilité de Dieu », in De l’anthropologie à la christologie : Mélanges offerts à Jean Zurcher, Faculté adventiste de théologie, Collonges-sous-Salève 1998.
« La création de l’univers », in VAUCHER Alfred, L’histoire du salut, 4e édition, Vie & Santé 1987.
Portraits de Jésus-Christ
, texte de cinq conférences données entre 1960 et 1967 aux Beaux-Arts (Bruxelles), édition dactylographiée, sans indication de date précise.

STEVENY Kohlia, Muriel et Christian, « Biographie de Georges Stéveny », in Autour de la croix : confrontations et conciliations – mélanges offerts à Georges Stéveny, Faculté adventiste de théologie, Collonges-sous-Salève 2003. 

TREIYER Enrique, La résurrection reçue et attendue : l’eschatologie de l’épître aux  Colossiens dans l’eschatologie paulinienne, thèse de doctorat, Université de  Louvain 1993. Voir résumé à http://www.teco.ucl.ac.be/recherche/doctorat/defenses/resumes.htm#Treiyer92 

VAUCHER Alfred,
L’histoire du salut
, 3e édition, Signes des temps 1951.
L’histoire du salut
, 4e édition, revue et augmentée par G. Stéveny, Vie & Santé 1987. 

VISSER ‘t HOOFT W. A., L’Eglise face au syncrétisme, trad. de l’anglais, Labor et Fides 1964. 

Ouvrage collectif : Ce que croient les adventistes : 27 vérités fondamentales, trad. de l’américain, Vie & Santé 2001. 

 

                                                           TABLE

Introduction
I.     La création ex nihilo
II.    Le Big Bang : parallèle scientifique de la création ex nihilo ?
III.   La conception de la création dans la pensée de Georges Stéveny
IV.   Critique exégétique
V.    La participation de l’homme au divin :  projet de thèse

VI.   Georges Stéveny et Alfred Vaucher
VII.  Risque de panthéisme ?
VIII. Le péché et la chute dans la pensée de Georges Stéveny
IX.    Le croyant est-il incarnation de Dieu ?
X.     Un cuisant aveu en guise de conclusion
POSTFACE
BIBLIOGRAPHIE                                    

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[1]  Ce que croient les adventistes : 27 vérités bibliques fondamentales, p. 78.

[2]  K. Barth, Esquisse d’une dogmatique, p. 52.

[3]  Saint Augustin, Confessions, livre XII, 7.

[4]  I.-M. Choucroun, Le Judaïsme, doctrines et  préceptes, p. 27.

 

[5]  P. Ricoeur, Le mal, p. 23-24.

[6]  Lire à ce sujet : Jacques Ellul, « Croire en la mort », in La foi au prix du doute, p. 73-80.

[7]  P. Ricoeur, op. cit., p. 35.

[8]  Saint Augustin, Confessions, Livre XI, 15.                                

[9]  G. Stéveny, « La création de l’univers », in A. Vaucher, L’histoire du salut, 4e édition, p. 84.

[10]  G. Stéveny, A la découverte du Christ, p. 76.

 

[11]  N. Hugedé, Commentaire de l’Epître aux Colossiens, p. 58.

[12] W. A. Visser ‘t Hooft, L’Eglise face au syncrétisme, p. 80.

[13]  E. Treiyer, La résurrection reçue et attendue, p. 306.

[14]  Voir l’excellente analyse de N. Hugedé, op. cit., p. 95.

[15]  K., M. et C. Stéveny, « Biographie de Georges Stéveny », in Mélanges offerts à Georges

     Stéveny, p. 13-14.

[16]  Pierre Bonnard [1911-2003], auteur de L'évangile selon Saint Matthieu, Labor et Fides, réédité en 2002.

[17]  G. Stéveny, A la découverte du Christ, p. 74-75.

[18]  G. Stéveny, « La création de l’univers », in A. Vaucher, L’histoire du salut, 4e édition, p. 79 à 86.

[19]  Ceux-ci nous ont demandé ne pas publier le nom de ce professeur.

[20]  G. Stéveny, «La création de l’univers», in A. Vaucher, L’histoire du salut, 4e édition, p. 84-85.

[21]  A. Vaucher, L’histoire du salut, 3e édition, p. 63.

[22]  Idem, p. 66.

[23]  G. Stéveny, « La création de l’univers », in A. Vaucher, L’histoire du salut, 4e édition, p. 85.

[24]  G. Stéveny, A la découverte du Christ, p. 77.

[25]  G. Stéveny, Le mystère de la croix, p. 45.

[26]  G. Stéveny, « La fragilité de Dieu », p. 27.

[27]  G. Stéveny, « Jésus le serviteur de l’Eternel », in Portraits de Jésus-Christ, texte de cinq conférences données

    aux Beaux-Arts (pendant son ministère pastoral à Bruxelles de 1960 à 1967), édition dactylographiée, sans 

    indication de date précise, p. 18.

 

[28]  G. Stéveny, ”La fragilité de Dieu”, in De l’anthopologie à la christologie : Mélanges offerts à Jean Zurcher.

[29] G. Stéveny, Le mytère de la croix, p. 48-49.

[30]  K. Barth, Dogmatique, IV/1**, p. 50.  

[31]  G. Stéveny, A la découverte du Christ, p. 297.

[32]  G. Stéveny, « La fragilité de Dieu », p. 50.

[33]  Idem, p. 51.

[34]  G. Stéveny, « La fragilité de Dieu », p. 51.

[35]  Id., p. 29.

[36]  H. Lietzmann, Histoire de l’Eglise ancienne, 1er volume, p. 315-316 - améliorations de traduction proposées.

[37]  G. Stéveny, « La fragilité de Dieu », p. 50.

[38]  Id., p. 36.

[39]  Voir par exemple : Le mystère de la croix, p. 25-36 ; Jésus l’envoyé de Dieu, p. 186-189.

[40]  W. A. Visser ‘t Hooft, L’Eglise face au syncrétisme, p. 26.

[41]  G. Stéveny, « La fragilité de Dieu », p. 26.

[42]  G. Stéveny, Le mystère de la croix, p. 257.

[43]  G. Stéveny, A la découverte du Christ, p. 362 – La citation que G. Stéveny a enchâssée dans son texte, pour   

    amplifier sa propre position, est de Gustave Tophel, piétiste suisse (1839–1917).

 

[44]  G. Stéveny, Jésus l’envoyé de Dieu, p. 205.

[45]  Esaïe 64 : 5.

[46]  Pour une excellente interprétation non gnostique de Jean 15, voir Xavier Léon-Dufour, Lecture de

    l’Evangile selon Jean, Tome III, p. 155-173.

[47]  Idem, p. 170.

[48]  Par exemple, voir G. Stéveny, Le mystère de la croix, p. 216 et 270.

[49]  Karl Barth, Révélation Eglise Théologie, p. 54 – avec de mineures corrections de style et de ponctuation.