par Freddy
Koopmans
ð
Table des matières
Introduction
C'est par
l’Ecriture que les chrétiens ont appris que l’univers a eu un commencement [Gen.
1 : 1] et qu’il finira par se dissoudre [Matth. 24 : 35 ; 2 Pierre 3 : 10-11].
Cette information constitue pour eux un article de foi.
La science,
qui ne voulait pas de ce schéma-là, a longtemps affirmé que l’univers est
éternel. Ce faisant, elle se ralliait au postulat de la philosophie grecque sur
le sujet.
Mais au cours du XXe siècle elle a dû progressivement déposer les
armes devant la découverte de phénomènes mesurables qui ne s’expliquent que par
l’hypothèse du Big Bang, le point d’origine du temps, de l’espace et de
la matière.
Ce qui est moins connu des croyants, c’est un autre défi à leur foi, bien plus
subtil et dangereux que l’athéisme prétendument scientifique. Il s’agit d’une
pensée très ancienne, que l’Eglise des premiers siècles de l’ère chrétienne
avait déjà eu à combattre.
Cette philosophie aux mille variantes a tenté à maintes reprises de parasiter la
foi reçue de nos pères.
Elle proclame que les êtres humains sont issus du sein même de la divinité, et
qu’ils sont des incarnations de Dieu ici-bas. La prédication de ce mensonge
flatteur n’a hélas pas épargné l’Eglise adventiste francophone.
I
La création ex nihilo
L'une des
grandes professions de foi, commune à pratiquement tous les chrétiens, qu’ils
soient catholiques, protestants ou adventistes, est bien celle qui proclame la
création ex nihilo. En général, les adventistes
évitent de recourir au latin, mais pour bien souligner qu’en l’occurrence leur
foi ne diffère pas de celle des autres Eglises ils affirment officiellement :
La
parole a créé ex nihilo, sans dépendre d’une matière préexistante.
Ex nihilo signifie
à partir de rien, à partir du non-être, du vide absolu, du non-existant, du
néant. On peut préférer une traduction de l’expression latine plutôt qu’une
autre, mais le sens demeure le même.
Karl Barth
(1886-1968) a consacré de nombreuses pages au thème de la création. Voici,
condensée en un paragraphe, l’expression de sa foi :
[…] le
monde est mais en tant que créature. Il lui est permis d’être à côté de
Dieu, par Dieu. La réalité que Dieu lui confère repose sur une creatio ex
nihilo, sur une création à partir du néant. Dieu fait surgir une réalité
différente de lui là où il n’y a rien, aucune matière première. S’il y a un
univers, si nous-mêmes nous existons par la seule opération de la grâce divine,
nous ne pouvons pas oublier un seul instant qu’à l’origine de notre existence et
de l’existence de l’univers, il y a non seulement une action mais une
création de Dieu. Tout ce qui existe en dehors de Dieu reste constamment
soustrait par lui au néant.
Vous avez
créé le ciel et la terre sans les tirer de votre substance : autrement il y
aurait eu quelque chose d’égal à votre Fils unique, et à vous par conséquent.
[…] Or, en dehors de vous, il n’y avait rien dont vous eussiez pu les former, ô
Trinité une, Unité trine. Voilà pourquoi vous avez fait de rien le ciel et la
terre (« de nihilo fecisti caelum et terram ») […]
Le judaïsme
est en parfaite harmonie sur ce sujet avec le christianisme. Le rabbin de Dijon,
I.-M. Choucroun, déclare, en utilisant l’expression latine :
La Bible
s’ouvre sur l’affirmation que Dieu, par Sa parole féconde, tira le monde du
néant (ex nihilo).
Les
adventistes tirent toutes les conséquences du texte de la Genèse qui
affirme : « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière. » [3 : 19.] Pour
eux, il n’y a aucun élément de nature divine en l’homme; celui-ci, issu du
non-être comme le reste de la création, tombe en poussière à sa mort. Il n’y a
pas de survie d’une entité prétendument immortelle. Dieu seul est immortel, et
seule une initiative de l’unique Eternel, au dernier jour, la résurrection,
ramènera les morts à la vie. C’est d’ailleurs la position d’éminents théologiens
tels que Karl Barth, Oscar Culmann, Roland de Pury.
Paul
Ricoeur (1913-2005) a fait le bilan de la pensée qui, de Saint Augustin à
Karl Barth, a cherché à comprendre le mal à partir du concept de
création ex nihilo.
[C’est la]
distance ontique entre le créateur et la créature qui permet de parler
de la déficience du créé en tant que tel ; en vertu de cette déficience, il
devient compréhensible que des créatures dotées de libre choix puissent
« décliner » loin de Dieu et « incliner » vers ce qui a moins d’être, vers le
néant.
C’est par l’attrait
du néant que l’on peut définir tous les nihilismes
auto-destructeurs
qui ont affecté
et affectent encore la société : vandalisme de casseurs, attentats-suicides,
alcoolisme, drogues, auto-flagellations, littérature et arts gangrenés par la
destruction du sens et des formes, cultures de la dérision et de la déréliction,
morbidités suicidaires, violences familiales, guerres civiles fratricides,
cancers idéologiques du IIIe Reich et de l’URSS, maoïsme et génocide
culturel de la Chine, Khmers rouges et génocide du tiers de leur propre peuple,
auto-immolation collective des membres de l’OTS, massacres entre chrétiens
autrefois, massacres entre musulmans aujourd’hui, etc.
La Genèse
[ch. 3] révèle la radicale toxicité du néant. L’époustouflante tentation
s’évapore brutalement pour faire place au traumatisme insupportable de la nudité
originaire, que le Dieu de la grâce couvre d’un vêtement acquis au prix du sang
versé. Et pour rendre compte du serpent qui aura le temps d’inoculer son venin
mortel au talon qui lui écrasera la tête, Paul Ricoeur ajoute :
[…]
le néant,
c’est ce que le Christ a vaincu en s’anéantissant lui-même dans la Croix.
II
Le
Big Bang : parallèle scientifique de la création ex nihilo ?
Contrairement
aux philosophies de l’Antiquité, la pensée judéo-chrétienne a affirmé depuis
longtemps que le temps n’est pas éternel mais a commencé par un instant zéro.
Par exemple, dans un livre consacré à la notion de temps, Saint Augustin,
un millénaire et demi avant que ne soit formulée la théorie de la relativité,
avait déjà conclu :
Ce temps
même, c’était vous qui l’aviez fait, et nul temps n’a pu courir avant que vous
eussiez fait le temps […] avant le ciel et la terre il n’y avait pas de temps
(« ante caelum et terram nullum erat tempus ») […]
Il n’est donc
probablement pas surprenant que ce soit un croyant, Georges Lemaître
(1894-1966), prêtre catholique et professeur d’astronomie à l’Université de
Louvain, qui, à partir de la théorie de la relativité, ait développé l’hypothèse
du Big Bang. Selon lui, cette explosion initiale s’est produite alors
qu’il n’y avait ni temps, ni espace, ni matière préexistante, et fut l’événement
à partir duquel allait se déployer l’univers tel que nous le connaissons et
contemplons.
Georges
Lemaître traversa l’Atlantique pour rencontrer Albert Einstein. Celui-ci
reçut poliment le professeur belge en soutane et se laissa même photographier à
ses côtés. Il se montra d’abord sceptique, mais plus tard il finit par se
rallier au concept, qui, en fait, cadrait parfaitement avec ses propres
hypothèses.
La plupart des
données de l’observation (le décalage spectral causé par la fuite des galaxies;
le rayonnement électromagnétique résiduel du cosmos à 2.7° Kelvin) vont dans le
sens de la confirmation de l’apport de Georges Lemaître à la connaissance.
Il y eut de
farouches résistances. Jusqu’à sa mort en 2001, le célèbre astrophy-sicien
Fred Hoyle tenta, contre les évidences, de prouver que l’univers est
éternel, sans commencement ni fin. C’est lui qui, d’un ton méprisant, donna à
l’explosion initiale le nom de Big Bang (en français : Gros Boum),
pour se moquer du concept. Ce fut, hélas, sa seule contribution à cette
formidable avancée de la science. La théorie, bien que généralement acceptée, a
donc encore toujours ses détracteurs.
Le prix Nobel
de physique 2006 vient de récompenser John Mather et George Smoot pour leurs
travaux qui ont renforcé le scénario du Big Bang. A l’aide d’un satellite
mis à leur disposition, ils ont fait des recherches sur le bruit de fond
cosmique, trace lointaine du premier instant de l’univers.
Georges
Lemaître était natif de Charleroi. Or, à 28 kilomètres au nord de cette grande
ville, un autre Wallon, également prénommé Georges, vit le jour en 1923; il
allait radicalement prendre le contre-pied de son illustre compatriote.
Son père, Hyacinthe Stéveny, était devenu adventiste peu après la
Première Guerre Mondiale.
En 1946,
Alfred Vaucher (1887-1993), professeur au Séminaire adventiste de
Collonges-sous-Salève, tomba malade et dut partir en convalescence au soleil
d’Espagne. Avant de s’en aller, il proposa que Georges Stéveny
(1923-2004), le plus brillant de ses étudiants, le remplace dans certains de ses
cours. C’est ainsi que débuta une remarquable carrière de professeur de Bible,
de pasteur et d’écrivain.
Or, Georges Stéveny développa et enseigna une théologie qui écartait la notion
de création ex nihilo. Voici ce qu’il déclare :
La réalité
ne peut être tirée du néant. Il y a une contradiction d’ordre métaphysique dans
l’affirmation d’un néant absolu à côté d’un Dieu absolu. On n’est pas plus
autorisé à affirmer le néant qu’à crier de l’intérieur à celui qui frappe à la
porte : « Il n’y a personne ! »
A la place de
la création ex nihilo, Georges Stéveny proposa une conception de la
création de l’homme par gestation en Dieu lui-même. Ecoutons-le donc :
L’apôtre
Paul affirme que c’est de Dieu que sont toutes choses. (Romains 11 : 36.) Ex
autou, hors de lui ! Et ailleurs : « Car en lui (Christ) ont été créées
toutes les choses qui sont dans les cieux et sur la terre, les visibles et les
invisibles. » (Colossiens 1 : 16.) Nous avons coutume de considérer le Christ
comme l’agent de la création. Cette idée est exprimée par la préposition dia,
par, grâce à. Mais une autre idée, plus complexe assurément, et sans doute aussi
plus belle et plus profonde, me paraît contenue dans la préposition « en »,
dans. Une table est fabriquée par le menuisier, mais un enfant est conçu
dans sa mère. Quelle différence ! Tout le mystère est là. L’enfant est
distinct de sa mère, et pourtant formé en elle. La mère demeure intégralement
elle-même, bien qu’ayant donné naissance à un autre être semblable à elle.
Inexplicable mais quotidienne vérité. Seule image assez riche pour ne point trop
défigurer la merveilleuse notion biblique de création. Toutes les autres restent
en deçà de la vérité essentielle.
IV
Critique exégétique
Dans son
Commentaire de l’Epître aux Colossiens, Norbert Hugedé (1932-2003)
fait la remarque suivante à propos d’un des versets-clés utilisés par Georges
Stéveny (Col. 1 : 16) :
A la
formule : « parce que tous les êtres ont été créés en lui », comme à
celle qui la développe plus loin en 16c : « tout a été créé en fonction de lui
et pour lui », nous avons trouvé très nettement une origine biblique. De même
que c’est apparem-ment en fonction d’Adam, et pour lui, que le monde a été créé,
c’est en fonction du Christ, second Adam, l’antitype, et pour lui, que la
seconde création a été faite. Ce rapprochement avec le livre de la Genèse nous
garde de voir au départ de ces expressions l’écho de préoccupations
hellénistiques […]
Ainsi,
Norbert Hugedé avait choisi d’écouter la voix venant de Jérusalem plutôt que
celle venant d’Alexandrie. Courageux acte de foi, que d’autres hésitent parfois
à oser et à poser.
Il arrive
fréquemment, en effet, que les termes employés par le Nouveau Testament […]
recouvrent […] ceux des religions hellénistiques de la même période. L’étudiant
qui aborde pour la première fois les textes du Nouveau Testament est
généralement choqué de constater que le Nouveau Testament n’a pas le monopole de
certains termes qui sont pourtant fondamentaux.
Enrique
Treiyer (°1950) ne craint pas de contredire certains exégètes qui se
laissent séduire par les sirènes de la religiosité hellénistique :
Contrairement à l’avis de certains commentateurs, la terminologie spatiale de
Colossiens ne résulte pas d’une hellénisation de la théologie. Il est vrai que
nous découvrons ici et là une assise commune à certains concepts de
l’hellénisme, concepts bien présents dans le judaïsme hétérodoxe. Mais l’auteur
de Colossiens ne s’engage pas dans ces voies.
En consultant les dictionnaires et lexiques grecs
à la préposition “én”, on trouve, parmi d’autres, les sens suivants :
en, dans, parmi, au milieu de, près de. Il faut se garder de fonder ou de
rejeter une doctrine à partir de l’un de ces sens possibles. C’est l’ensemble du
message biblique qui est déterminant.
En tout cas,
cette petite préposition “én” ne doit pas être prise dans un sens qui
implique la fusion du divin et de l’humain chère à la mythologie grecque. Par
exemple, l’expression « Christ en vous » [Col. 1 : 27] doit être comprise
comme signifiant « Christ parmi vous », c’est-à-dire à l’oeuvre dans l’Eglise
par son Esprit.
« Christ en moi » [Gal. 2 : 20] signifie ma soumission en tant que
chrétien à la pensée de Christ, soumission qui n’est, hélas, jamais sans faille.
Tous ces
versets trouvent leur clé dans l’affirmation que voici : « Demeurez en
moi [= en communion avec moi], et je demeurerai en vous [= parmi
vous]. » [Jean 15 : 4.] Jésus précise sa pensée trois versets plus loin, en
recourant au même hébraïsme : « Si vous demeurez en moi, et
que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voudrez, et cela
vous sera accordé. » [v. 7.] Manifestement, « que nous demeurions en Jésus » et
« que les paroles de Jésus demeurent en nous » sont deux manières
complémentaires d’exprimer la même réalité.
Revenons
brièvement à Col. 1 : 16. « En lui ont été créées toutes choses. »
Puisque “près de” est l’un des sens possibles de “én”, pourquoi ne pas
traduire tout simplement : « Près de lui [c’est-à-dire sous sa garde,
sous sa protection] ont été créées toutes choses. » Cette idée de seigneurie
protectrice de Dieu, la providence, a l’avantage d’être attestée
abondamment dans l’Ecriture, en particulier dans les Psaumes [Ps. 36 : 8; Ps.
37 : 39; Ps. 62 : 8; Ps. 63 : 8; etc.]. Elle confirme et amplifie l’inter-prétation
de Norbert Hugedé.
Quant à la
métaphore de la femme enceinte - utilisée par Georges Stéveny pour rendre compte
du développement de l’univers dans le sein même de Jésus - elle se trouve sous
diverses formes dans les mythologies. Il en existe une survivance dans
l’expression : « Il se croit sorti de la cuisse de Jupiter » (pour souligner
l’extrême vanité de quelqu’un).
V
La
participation de l’homme au divin :
projet de thèse
Dans la
biographie de leur père, les fils et la fille de Georges Stéveny font état de la
mise en chantier d’une vaste recherche qui aurait dû aboutir au magnum opus
de l’auteur.
Il
travaille en parallèle à une thèse de doctorat. En effet, l’université de
Lausanne accepte son projet de thèse de doctorat en théologie sur « la
participation de l’homme au divin » sous la direction de Pierre Bonnard,
spécialiste du Nouveau Testament. Georges ne pourra malheureusement pas mener ce
projet à terme, à son grand regret. Car en 1970, il est appelé à la direction du
Séminaire, tâche qui ne lui laissera pas le loisir de poursuivre ses recherches
dans les bibliothèques universitaires.
Georges
Stéveny parlait volontiers de son projet, qui était donc de notoriété publique
dès le début des années 60. Environ dix ans s’écoulèrent entre sa première
entrevue avec le professeur Pierre Bonnard
et sa
nomination à la présidence du Séminaire adventiste de Collonges-sous-Salève.
L’argument par le brusque surcroît d’activités pour expliquer l’abandon du
projet de thèse est donc peu crédible.
De plus,
Georges Stéveny était renommé pour son énorme capacité de travail. D’autres
pasteurs et professeurs adventistes ont – sans être déchargés de leur mission –
obtenu un doctorat. On pense, par exemple, à Pierre Lanarès, qui mena à bien ses
recherches tout en assumant la responsabilité de la direction du séminaire.
On ne peut
s’empêcher de conclure que la cause de cet abandon de projet de thèse est
autre.
Dans les
archives de Georges Stéveny – qui ont dû être précieusement conservées – il doit
y avoir un dossier concernant ce projet de thèse. Georges Stéveny y a d’ailleurs
ultérieurement puisé des pages qu’il a introduites dans ses livres. Par exemple,
le fac-similé d’un manuscrit en langue grecque découvert en Egypte, et dont
l’original se trouve à la Bibliothèque Bodmer de Genève.
Ce dossier
doit également contenir l’échange épistolaire entre Georges Stéveny, pasteur à
Bruxelles jusqu’en 1967, et son directeur de thèse à Lausanne.
On imagine sans peine la réaction étonnée du protestant Pierre Bonnard à la
lecture de certaines pages que Georges Stéveny n’a pas manqué de lui soumettre.
Et on voit
mal Georges Stéveny accepter d’infléchir sa pensée dans le domaine de la
participation de l’homme au divin.
Ceci
expliquerait son abandon du projet bien mieux qu’une surcharge de travail à
partir de 1970.
Il serait évidemment fort intéressant de lire la lettre de Pierre Bonnard qui
aurait pu amener Georges Stéveny à la décision d’écrire plus tard, sans
contrainte, en toute liberté. Le double d’un tel courrier se trouve probablement
dans les archives de la Faculté de théologie de l’Université de Lausanne.
Il est
étonnant que Georges Stéveny ait tenté de ressusciter une doctrine combattue
victorieusement dans leurs écrits contre les hérésies de leur temps par
plusieurs pères de l’Eglise des IIe et IIIe siècles, tels
Tertullien, Irénée, Justin et Hippolyte.
VI
Georges Stéveny et Alfred Vaucher
Georges
Stéveny affirme donc que la vie des hommes vient de l’Etre de Dieu. Il raisonne
à partir de l’affirmation que voici, qui ne se trouve d’ailleurs pas dans la
Bible.
La vie ne
peut venir que de la vie.
Pour le
croyant, ceci pourrait à la rigueur signifier qu’une intelligence supérieure a
tiré les êtres vivants du non-être. Mais le principe trouve sa limite dans la
constatation que la vie de Dieu ne vient pas d’une autre vie. Pour sa
part, le savant athée, qui conçoit que les formes de vie d’aujourd’hui dérivent
de formes de vie antérieures, attestées par les fossiles, applique
rigoureusement le même principe philosophique. Mais il bute sur la question de
la première cellule vivante, qu’il prétend être issue spontanément de la matière
inerte. Aussi bien le croyant que le savant athée sont ainsi obligés de déroger
au principe, qui n’est donc qu’un axiome inopérant, inutile et incertain.
Très
curieusement, Georges Stéveny se défend par anticipation d’avoir enseigné une
forme de panthéisme. Il a ainsi recours à une redoutable figure de polémique, la
prolepse. Georges Stéveny ayant repoussé l’accusation avant même que
quelqu’un ne la formule, qui oserait y revenir ?
J’entends
déjà protester au nom du panthéisme que la Bible tout entière révoque. Ne nous
pressons pas. Le rapport dont je parle est différent et dûment affirmé par les
déclarations les plus solennelles de l’Evangile. Quand Paul écrit : « Ce n’est
plus moi qui vis, mais c’est le Christ qui vit en moi » (Galates 2 : 20), est-ce
du panthéisme ? Ou quand il écrit aux Ephésiens que nous devons être « remplis
jusqu’à toute la plénitude de Dieu » (3 : 19), est-ce du panthéisme ? Certes
non. C’est l’adorable « mystère dans lequel sont cachés tous les trésors de la
sagesse et de la science ». (Colossiens 2 : 3.)
Plaçons Gal.
2 : 20 dans son contexte : « Ce n'est plus moi qui vis, mais c'est le
Christ qui vit en moi, et si je vis maintenant dans la chair, je vis dans
la foi au Fils de Dieu ». Ou encore, quand Paul écrit aux
Ephésiens que nous devons être « remplis jusqu’à toute la plénitude de Dieu » (Eph.
3 : 19), pourquoi ne pas citer également le verset 17 : « que le Christ habite
dans vos cœurs par la foi » ? Et enfin, rétablissons la troisième
citation dans son intégralité : C’est l’adorable « mystère dans lequel sont
cachés tous les trésors de la sagesse et de la science » (Col. 2 : 3). Le verset
précédent avait précisé : « mystère de Dieu, qui est le Christ. »
CONCLUSION : la réalité de la plénitude de Dieu est en Christ, et nous sommes
conviés à avoir foi en cette réalité-là.
En fait, la
pensée de Georges Stéveny n’a généralement pas les caractéristiques du
panthéisme, mais plutôt celles du gnosticisme. En effet, il
affirme et répète que, de par son origine en la personne du Christ, seul
l’être humain possède un élément divin quelque part en sa personne - et non
pas l’ensemble de la création comme chez les panthéistes.
La
noblesse de l’homme est d’avoir été créé participant de la nature divine.
En fait
Dieu a créé un créateur. Tel est le sens caché du récit de la Genèse (1.26) :
« Dieu dit : faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. » […]
L’image est plus qu’une simple représentation du modèle. Elle contient comme une
projection de son essence. Elle est comme le fils par rapport à son père.
« Adam, fils de Dieu. » (Luc 3.38.) Elle en porte la puissance.
Et pourtant, dans la citation qui vient, Georges Stéveny flirte manifestement
avec ce qu’il désapprouve :
Le Christ de Dieu se donne dans
la création. Il est la vie de tout ce qui vit, l’être de tous les êtres. Il est
la substance cachée des choses, si différente des apparences, profondément
présente au cœur de tout ce qui vit […]
Dès que l’on affirme que non seulement l’homme mais encore tous les êtres
vivants - donc les animaux et les plantes - ainsi que les choses inertes
contiennent une « substance cachée » qui est le Christ lui-même on est dans la
logique du panthéisme.
Ceci illustre que l’on tombe facilement du gnosticisme dans le piège du
panthéisme. Les deux doctrines sont sœurs jumelles.
VIII
Le péché et la
chute dans la pensée de Georges Stéveny
Pourtant,
cette « substance cachée » mise en l’homme par Dieu a été
gravement affectée par la chute et le péché. Ceci pose le problème de savoir
comment la substance divine, en principe éternelle, inaltérable et « sans ombre
de variation » [Jacq. 1 : 17], ait pu subir une telle détérioration. Cette perte
d’être, Georges Stéveny l’appellera dans un autre texte « la fragilité de
Dieu ».
Mais commençons par la fragilité de l’homme :
Le péché
qui a produit la chute originelle ne peut pas être compris uniquement sur le
plan moral. Oserai-je dire qu’il est ontologique ? Je suggère de
comprendre qu’il modifie la nature même de l’être humain. Comment cela ?
Question difficile ! Disons-le très simplement. Sorti des mains du créateur,
l’homme, avant la chute, n’était pas réellement séparé de Dieu. Un lien
invisible, mais authentique et vital, le reliait au Seigneur. L’esprit humain
restait naturellement en contact avec l’Esprit divin. Comme un fœtus est relié à
sa mère par le cordon ombilical ! Ou, si l’on préfère, comme un trolleybus est
en relation avec la source d’électricité, grâce à son trolley. On sait ce qu’il
advient quand le contact est rompu. Or, à la chute, une rupture de ce genre
s’est produite. Expulsés du jardin, Adam et Eve ont cessé d’entretenir avec Dieu
une communion spontanée. Leur nature intime a été affectée par le péché. Et le
privilège dont ils jouissaient en vertu de leur innocence ne pouvait plus être
transmis à leur descendance. Désormais, la vie transmise est hypothéquée : elle
s’écoule vers la mort. Tout nouveau-né est un condamné à mort en sursis. L’homme
accède à l’existence, séparé de Dieu, sans lequel il ne peut vivre. Pour
rétablir la communion, il doit passer par la conversion. Conversion qui implique
une nouvelle naissance. Le péché affecte sa nature : c’est une maladie mortelle.
La conversion rétablit sa nature initiale : c’est la guérison éternelle.
Ni la
comparaison avec le cordon ombilical ni celle avec le trolley d’un trolleybus
n’ont leurs équivalents dans la Bible, qui pourtant offre de nombreuses
métaphores et paraboles pour faire comprendre la situation désespérée du
pécheur.
La
brebis égarée, toute fourvoyée qu’elle est, n’a pas changé de nature ; elle
est toujours autant brebis que ses quatre-vingt-dix-neuf soeurs
fidèlement restées dans la bergerie ; elle ne s’est pas métamorphosée en une
nouvelle espèce d’animal. Le métal de la drachme perdue est toujours le
même que celui des neuf pièces que la ménagère a précieusement rangées, et elle
n’a rien perdu de sa valeur nominale : elle vaut toujours une drachme. Le
fils prodigue, égaré au milieu des pourceaux, est demeuré un être humain à
part entière ; il n’est pas devenu une sorte de monstre mi-homme, mi-cochon. Et
Karl Barth de conclure :
[…] même
en étant […] un esclave notoire du péché, l’homme ne cesse pas pour autant
d’être une bonne créature de Dieu.
Ceci
constitue un des arguments majeurs contre la torture et la peine de mort. Le
pire des criminels doit encore être respecté comme une bonne créature de Dieu.
IX
Le croyant est-il incarnation de
Dieu ?
Georges Stéveny esquisse le processus de réhabilitation de l’homme en ces
termes :
En nous
unissant au Christ par la foi-adhérence, nous retrouvons aussi, d’une manière
surnaturelle, le lien avec Dieu. Le cordon ombilical est reconstitué.
D’un
livre à l’autre, on retrouve donc cette métaphore obsédante du cordon
ombilical. Comme l’apôtre Paul affirme que nous sommes enfants de Dieu par
adoption [Rom. 8 : 15 ; Eph. 1 : 5 ; Gal. 4 : 5 ; etc.], et non
par engendrement, la notion de cordon ombilical est inadaptée au propos.
Mais poursuivons notre lecture.
Quand
l’humanité est libérée de toute contrainte et de toute limite, elle s’ouvre
pleinement à la divinité.
En
devenant pleinement homme, pleinement enfant de Dieu dans la liberté reconquise,
on acquiert pleinement la participation à la nature divine.
Mais il
nous revient la possibilité de tendre avec enthousiasme vers cette ultime
réalisation. L’homme est appelé à devenir incarnation de Dieu.
Oui, chère lectrice, cher
lecteur, vous avez bien lu : « incarnation de Dieu ».
Nous
invitons le lecteur à être particulièrement attentif à la déclaration qui suit.
En créant,
Dieu pousse les êtres au long d’une courbe immense dont le déploiement
circulaire peut tout ramener à lui. Un jour, bientôt, à la parousie du Seigneur,
lorsque toutes choses auront été soumises à Dieu, Dieu sera tout en tous (1
Corinthiens 15 : 28). Ce sera la consommation de tous les êtres en Dieu. Alors,
la fragilité de Dieu disparaîtra.
Cette vaste
« courbe » sur laquelle Dieu « pousse » (sic) les êtres humains issus de lui,
pour finalement les « ramener » au point de départ et les recueillir en
lui-même, est caractéristique de la pensée gnostique telle que l’hérésiarque
Valentin († v. 160) l’enseignait déjà
dans les églises d’Alexandrie et de Rome. Ce voyage d’ampleur cosmique est
magistralement résumé par le professeur Hans Lietzmann (1875-1942),
spécialiste de l’histoire de l’Eglise et de la gnose.
Le drame
qui, selon Valentin, se joue dans le pleroma nous révèle très clairement
le sens de la Divine Comédie de la rédemption. C’est le déploiement par
lequel la divinité prend conscience d’elle-même. Toute génération résulte [nécessai-rement]
de la nature divine elle-même et mène de l’unité à la multiplicité, à la
différentiation et à la diversité sans cesse croissantes, [donc] à la
dégradation continuelle de la déité. Mais, [tout aussi nécessairement], le divin
qui a trouvé dans l’homme une de ses formes retourne à sa source première,
atténue graduellement les différences et se dissout finalement dans le grand
Tout, dans la plénitude de la divinité qui n’est plus ni individuelle ni
personnelle, mais qui est au-dessus de toute forme et de toute détermination.
Par quel
raisonnement Georges Stéveny en est-il venu à affirmer la « fragilité de Dieu »,
comme Valentin et d’autres gnostiques ? C’est tout simple : à force d’utiliser
sa substance pour l’injecter dans les êtres qu’il crée, Dieu a fini par entamer
son capital vital au point de se trouver bien affaibli. Les gnostiques nous
invitent à le prendre en pitié et à nous précipiter à son secours. Ce n’est pas
Dieu qui sauve les hommes, mais au contraire les hommes qui doivent assurer le
salut de Dieu en unissant la somme de leurs parcelles divines à son être
égrotant. Alors, comme le dit Georges Stéveny, « la fragilité de Dieu
disparaîtra». Car…
L’homme a
un immense pouvoir sur Dieu. En cela réside le caractère sacré de sa destinée.
Il engage le destin de Dieu.
Le mot
« Dieu » pourrait n’être qu’un mot vide. Ce qui lui donne un sens, c’est la
clarté de notre vision, le contenu de notre adoration, la qualité de notre
obéissance, le sérieux de notre réflexion.
On finit par
se demander qui crée qui.
Est-il dès
lors étonnant que notre auteur ait combattu la doctrine de la substitution
?
Dans la
perspective gnostique celle-ci n’a aucun sens. Comment un Dieu épuisé par son
œuvre créatrice pourrait-il se substituer à des hommes
collectivement bien plus puissants que lui ?
Des êtres qui
sont certains de posséder un élément divin en eux-mêmes pourraient-ils accepter
qu’un autre être divin – fragile de surcroît - se substitue à
eux pour leur assurer le salut ?
Mais alors,
dans cette perspective, quel est le rôle de Jésus ? et l’utilité de son
sacrifice à la croix ?
Selon W.
A. Visser ‘t Hooft, le tout premier secrétaire général du Conseil Œcuménique
des Eglises, Jésus est réduit, dans la pensée gnostique, à la fonction d’
agent
libérateur de l’étincelle divine qui est en l’homme.
Pour le gnostique, Jésus
ne jouerait donc qu’un rôle d’allumeur de réverbères.
Dès lors,
comment faut-il comprendre que Dieu, malgré son extrême dégradation, soit
paradoxalement appelé le Tout-Puissant dans l’Ecriture ? Georges Stéveny
a vu le problème et l’a résolu de la manière suivante :
Tout est
possible à Dieu en ce sens qu’on ne sait jamais jusqu’où peut aller l’action de
l’Esprit quand elle trouve un organe approprié. C’est encore plus vrai,
évidemment, dans l’Apocalypse. Le Pantocratôr [Tout-Puissant en
grec] peut promettre, car il possède la vertu de réaliser ses promesses avec
« le reste » qui l’accueille. L’actualisation de la toute-puissance est projetée
dans l’avenir.
« Organe
approprié » est de toute évidence synonyme de « cordon ombilical ».
Le Saint-Esprit ne peut donc intervenir, d’après Georges Stéveny, qu’en passant
par des êtres humains reliés ontologiquement à Dieu. La souveraine
liberté d’action de Dieu ne serait en fait que chimère.
Le « reste
qui l’accueille » est une collectivité ecclésiale eschatologique de saints
dont Dieu attend patiemment la constitution pour enfin pouvoir accomplir son
œuvre dans l’histoire. L’Eglise ne dépendrait pas de la toute-puissance de
Dieu, mais Dieu serait soumis au souverain bon vouloir de l’Eglise.
Dieu est apparemment loin d’avoir atteint la toute-puissance ; celle-ci « est
projetée » dans un avenir hypothétique, lorsque Dieu sera uni à ses
créatures par « un organe approprié ».
Et voici, selon Georges Stéveny, comment
fonctionne un chrétien qui a fusionné avec Dieu :
Pour
imiter un grand artiste, il faut posséder son génie. De même, pour ressembler au
Christ, il faut être habité par lui. Ce n’est pas sans raison que l’on a insisté
sur une mystique de l’être-en-Christ et de l’union avec Christ. Tel est le
secret !
Car il est impossible de
distinguer entre le Christ et notre conscience. La voix mystérieuse qui se fait
entendre dans notre for intérieur se confond avec la voix du Christ. « La
conscience […] est le témoin de Dieu dans l’homme, le juge divin et sans appel,
le ministre résidant, l’œil et la lumière du corps (Luc 11 : 34-36), la boussole
du navire. » La voix du Christ en nous !
Le
mysticisme et le gnosticisme font évidemment bon ménage. Le « cordon
ombilical », cet « organe approprié », permettrait donc une radicale identité de
la pensée de l’homme et de la pensée de Dieu !
Mais évitons
de trop en dire à propos de cette ahurissante revendication. Il n’est cependant
pas difficile d’entrevoir qu’elle risque de se révéler redoutable pour
l’entourage. Surtout pour ceux qui oseraient exprimer des points de vue
différents de celui qui se croit le dépositaire des idées de Jésus-Christ.
X
Un cuisant aveu en guise de
conclusion
Dans
l’ultime ouvrage publié de son vivant, dans un moment de grande lucidité,
Georges Stéveny, après avoir brièvement réaffirmé son perfectionnisme, doit
reconnaître que celui-ci n’a abouti à rien.
Le
privilège du chrétien […] consiste dans une transformation qui permet au
caractère du Christ de se manifester dans notre comportement au sein de la
société.
Un cuisant
aveu nous oblige à convenir que cela ne se reconnaît pas dans les faits. […]
Dans la situation inextricable où se trouve le monde, les chrétiens seraient
bien avisés de se demander s’ils contribuent à la maladie du monde ou à sa
guérison.
Cuisant aveu,
en effet, venant après un tel rêve !
Nous supposons
que Georges Stéveny s’estimait et se jugeait tout aussi coupable que les autres
chrétiens de la situation qu’il évoque.
Car toute
notre justice - et non pas notre injustice - est comme un
vêtement souillé.
Souhaitons que
la récente admission de l’Eglise adventiste au sein de la Fédéra-tion
protestante de France ait pour effet l’adoption sincère, au fond de nos cœurs,
de ces quelques mots : A la fois justes et pécheurs ! C’est la
seule conception de l’homme qui soit compatible avec la doctrine de la
création ex nihilo.
POSTFACE
Le présent
texte est une refonte d’une première édition. Elle fut envoyée, sous un autre
titre, à une cinquantaine de destinataires de neuf pays différents. La moitié
d’entre eux nous ont fait parvenir leurs commentaires, leurs suggestions, leurs
critiques.
Qu’ils soient ici chaleureusement remerciés ! Il a été tenu compte de la plupart
de ces apports, au demeurant fort avisés. Un correspondant a proposé un
changement de titre, pour des raisons fort convaincantes. Un autre nous a
suggéré d’ajouter, par souci de clarté, une brève introduction permettant de
bien situer le propos. D’autres ont fourni des renseignements dont la teneur
était confidentielle jusqu’ici.
Certains ont demandé s’il y a des groupements religieux qui enseignent, comme
Georges Stéveny, que l’être humain est issu de l’Etre de Dieu, et non pas du
néant. Oui, bien sûr, et c’est l’une des raisons qui leur interdit l’admission
dans la Fédération protestante de France, et même dans le Conseil Œcuménique des
Eglises. Il s’agit notamment des Mormons. Notre entrée dans la Fédération
protestante de France est donc implicitement subordonnée à notre rejet de toute
théologie gnostique.
Un pasteur retraité nous a demandé pourquoi nous ne laissions pas Georges
Stéveny respectueusement en paix dans le silence de la tombe. Le problème, c’est
que sa théologie est non seulement prônée du haut de certaines chaires, mais, de
plus, exerce une censure de fait sur la doctrine de la substitution, qui
n’ose plus s’exprimer en français qu’avec une pudeur extrême. Et que dire du
fait que Georges Stéveny est publié et diffusé par Vie & Santé, la maison
d’édition adventiste officielle de langue française ? La publication posthume
d’un livre inachevé est d’ailleurs envisagée.
Quelques lecteurs, troublés par ce que nous venions de leur révéler, nous ont
demandé si nous avions vraiment la certitude que Georges Stéveny avait maintenu
jusqu’au bout son rejet de la création ex nihilo et son affirmation que
l’homme a été créé au sein même du Logos de Dieu. Nous serions des plus heureux
d’apprendre que Georges Stéveny ait regretté cette double erreur, souvent
répétée, et l’ait corrigée. Si un manuscrit, une lettre par exemple, révélait
une telle volte-face sans la moindre ambiguïté, il faudrait le publier au plus
vite pour contrer l’influence des écrits existants.
On nous a demandé si l’allégorie champêtre du cep et des sarments [Jean
15 : 1-8] ne confirmerait pas la réalité du cordon ombilical censé nous
relier ontologiquement à Jésus. Cette péricope fait partie des
instructions que Jésus a données à ses disciples pendant le repas pascal,
quelques heures avant son arrestation. Georges Stéveny occulte ce texte, et pour
cause : la sève qui va du cep aux sarments représente, selon Jean 15 : 7, les
paroles de Jésus, dont les onze disciples furent conviés à se nourrir
pour porter des fruits.
Se couper de la source de la foi, aurait signifié pour eux la mort spirituelle.
Référence à peine voilée à Judas, qui venait de quitter la salle pour aller
livrer le Seigneur.
Ce qui est visé, c’est le risque de ne pas persévérer dans
la foi […]
Quels sont ces fruits que les apôtres furent invités à produire en se
nourrissant des paroles de Jésus ? On pense bien sûr à la prédication de
l’Evangile, à la fondation des premières Eglises, et enfin à la
rédaction du Nouveau Testament, qui nous permet, à notre tour, de nous
nourrir de l’enseignement de Jésus. Jean 15 : 1-8 ne concerne donc en aucune
manière la prétendue création de l’homme dans le sein de Jésus, ni
l’hypothétique suture du « cordon ombilical » tranché par la chute et le péché.
Georges Stéveny utilise parfois les mots cep et sarments, de
manière allusive, hors contexte, sans donner la référence de Jean 15.
Un admirateur de Georges Stéveny nous a reproché de nous draper orgueilleusement
dans la houppelande de l’orthodoxie. Il nous a demandé si nous avions
vraiment la prétention d’avoir compris la doctrine de la création ex
nihilo dont nous parlions. Evidemment, nous lui répondons que
NON ! Qu’il soit donc rassuré : c’est par la foi
que nous accueillons le témoignage de l’Ecriture, que ce soit à propos de la
trinité, de l’incarnation, de la substitution, de la
résurrection, ou encore, bien sûr, de la création ex nihilo.
Si des conceptions hétérodoxes obtiennent droit de cité dans notre Eglise –
générosité chrétienne que nous ne contesterons pas - on ne nous contestera pas
non plus le droit de défendre contre elles, par la plume, les enseignements
fondamentaux de l’Eglise chrétienne. Même s’ils sont désespérément orthodoxes.
Trois responsables de l’Eglise se sont esquivés avec un sympathique sourire
fraternel en nous disant chacun à tour de rôle : « Oh, vous savez, moi, je n’y
connais rien en théologie ! »
Mais le
problème de la théologie, à savoir la pureté du service à l’Eglise, c’est à
l’Eglise dans son ensemble qu’il est posé. Dans l’Eglise, il n’y a pas, en
principe, de non-théologien. Le concept de « laïque » est à coup sûr l’un des
plus mauvais qu’évoque la langue religieuse, un concept qui devrait tout
simplement être rayé du vocabulaire chrétien. Disons donc que ceux qui ne
sont ni professeurs ni pasteurs [doivent veiller à ce] que la théologie de leurs
pasteurs et de leurs professeurs soit une bonne théologie.
BIBLIOGRAPHIE
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Confessions, texte latin et traduction de Pierre de Labriolles, 2e
vol., Les Belles Lettres 1961.
BARTH
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l’allemand, Labor et Fides, 1966.
Esquisse d’une dogmatique, trad. de l’allemand,
Delachaux & Niestlé 1950.
Révélation Eglise Théologie, trad. de l’allemand,
Labor et Fides 1964.
CHOUCROUN
I.-M., Le Judaïsme, doctrines et préceptes, PUF 1951.
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HUGEDE
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LEON-DUFOUR Xavier, Lecture de l’Evangile selon Jean, 3e
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trad. de l’allemand,
1er vol., Payot 1936.
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STEVENY
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A la découverte du Christ, Vie & Santé 1991.
Le mystère de la croix, Vie & Santé 1999.
Jésus, l’envoyé de Dieu : Pourquoi est-il venu ?, Vie & Santé 2001.
« La fragilité de Dieu », in De l’anthropologie à la christologie : Mélanges
offerts à Jean Zurcher, Faculté adventiste de théologie,
Collonges-sous-Salève 1998.
« La création de l’univers », in VAUCHER Alfred, L’histoire du salut, 4e
édition, Vie & Santé 1987.
Portraits de Jésus-Christ, texte de cinq conférences données entre 1960 et
1967 aux Beaux-Arts (Bruxelles), édition dactylographiée, sans indication de
date précise.
STEVENY
Kohlia, Muriel et Christian, « Biographie de Georges Stéveny », in Autour de
la croix : confrontations et conciliations – mélanges offerts à Georges Stéveny,
Faculté adventiste de théologie, Collonges-sous-Salève 2003.
TREIYER
Enrique, La résurrection reçue et attendue : l’eschatologie de l’épître aux
Colossiens dans l’eschatologie paulinienne, thèse de doctorat, Université
de Louvain 1993. Voir résumé à http://www.teco.ucl.ac.be/recherche/doctorat/defenses/resumes.htm#Treiyer92
VAUCHER
Alfred,
L’histoire du salut, 3e édition, Signes des temps 1951.
L’histoire du salut, 4e édition, revue et augmentée par G.
Stéveny, Vie & Santé 1987.
VISSER ‘t
HOOFT W. A., L’Eglise face au syncrétisme, trad. de l’anglais, Labor
et Fides 1964.
Ouvrage
collectif : Ce que croient les adventistes : 27 vérités fondamentales,
trad. de l’américain, Vie & Santé 2001.
TABLE
Introduction
I. La création ex nihilo
II.
Le Big Bang : parallèle scientifique de la création ex nihilo ?
III.
La conception de la création dans la pensée de Georges Stéveny
IV. Critique exégétique
V.
La participation de l’homme au divin : projet de thèse
VI. Georges Stéveny et Alfred
Vaucher
VII. Risque de panthéisme ?
VIII. Le péché
et la chute dans la pensée de Georges Stéveny
IX. Le croyant est-il
incarnation de Dieu ?
X. Un cuisant aveu en
guise de conclusion
POSTFACE
BIBLIOGRAPHIE
Ce que croient les adventistes : 27 vérités bibliques fondamentales,
p. 78.
I.-M. Choucroun, Le Judaïsme, doctrines et préceptes, p. 27.
P. Ricoeur, Le mal, p. 23-24.
G. Stéveny, « La création de l’univers », in A. Vaucher, L’histoire du
salut, 4e édition, p. 84.
G. Stéveny, A la découverte du Christ, p. 76.
G. Stéveny, « La fragilité de Dieu », p. 27.
G. Stéveny, « Jésus le serviteur de l’Eternel », in Portraits de
Jésus-Christ, texte de cinq conférences données
aux Beaux-Arts (pendant son ministère
pastoral à Bruxelles de 1960 à 1967), édition dactylographiée, sans
indication de date précise, p. 18.
G. Stéveny, Le mytère de la croix, p.
48-49.
G. Stéveny, « La fragilité de Dieu », p. 51.
G. Stéveny, Le mystère de la croix, p. 257.
G. Stéveny, A la découverte du Christ, p. 362 – La citation que G.
Stéveny a enchâssée dans son texte, pour
amplifier sa propre position, est de
Gustave Tophel, piétiste suisse
(1839–1917).
Karl Barth, Révélation Eglise Théologie, p. 54
– avec de mineures corrections de style et de
ponctuation.